jeudi 7 octobre 2010

Vieux Juifs

01.11.09
Particulièrement drôle... Je t'expliquerai le concept plus tard.

Ils sont cinq dans la pièce sobre et la plupart cherchent à savoir d’où provient cette odeur de moisi si agressante. Les autres se sont assoupis sans rien dire.

L’un lève les sourcils dans la direction qu’emprunte sa calvitie. Cela ne signifie pas nécessairement la surprise, car dans son cas, c’est signe d’intimidation : « Si quelqu’un ici croit encore au mythe aberrant de l’Holocauste, lance-t-il en soutenant le regard inquisiteur de ceux qui peuvent l’entendre, eh bien, je le répudie! ». Satisfait du silence interloqué que son avertissement a produit dans la salle, le vieillard corrige sa position sur son banc et sourit, les mains croisées sur sa bedaine.

L’un de ses semblables ose enfin le questionner, d’un mouvement très timide de ses lèvres bleuies : « Heu… Rabbi Schwarz, je ne pense pas… »

- Hum? fait le concerné, un œil plus gros que l’autre.

- Rien, pardon… Sauf votre respect, je ne pense rien du tout, rectifie l’homme dans une impasse.

Du coup, l’ambiance gagne en lourdeur. Le rabbin incorrigible ferme les yeux et contemple l’avenir sous ses paupières défectueuses. Il hume le parfum infect qui le replonge tout de suite dans ses souvenirs d’enfance où, mystérieusement, le passé inoubliable des Juifs a été grandement altéré, nul ne sait pourquoi (sauf Freud ou Jung, peut-être). Il laisse libre cours à ses flatulences, paisible et imperturbable. Un des hommes éveillés dans la salle chuchote à son voisin, le tout fragile répondant de tout à l’heure, qu’il vaut mieux ignorer cet obstiné que la sénilité n’épargne pas. « C’est un fou, il ne faut pas le secouer… »

Le dentiste sort le bras de son cabinet pour faire signe aux messieurs qu’il est temps de passer au suivant. C’est le rabbin Schwarz qui répond à l’appel, même s’il semble encore patauger dans sa bulle somnolente en soulevant paresseusement ses gros jambons dont quelques os craquent.

- Sinistre personnage, observe Quentin, ayant abandonné sa gêne.

- Oh, pas plus que le dentiste, à mon avis, le rassure un quelconque Arthur.

- Pourquoi pensez-vous qu’il…?

- Ah, ça, c’est à Yahveh…

- Mais soyons francs et rationnels ici, ce triste monsieur…

Quinze minutes plus tard, c’est au tour de Quentin d’affronter ses futurs plombages. Au moment où le rabbin met le pied sur la tapisserie de la salle d’attente puante, un éclair passe entre les yeux des deux hommes. « Quel déprimant bouffeur d’illusions! », ne peut s’empêcher de souffler Quentin. Comme s’il avait lu ces pensées légèrement insultantes directement sur le front du sexagénaire rendu farouche, le rabbin grogne, transformant ses globes oculaires en d’effrayantes créatures exorbitées.

L’affrontement se déroule alors dans un vacarme inhabituel, chez le dentiste Langevin, boulevard Gouin. Ils en viennent aux poings, expulsant chacun une bonne réserve de crachat, sans compter leurs injures, verbales et venimeuses. S’ils en avaient plus qu’un centimètre de longueur, ils s’arracheraient les cheveux.

Ce tableau est de toute beauté, si vous voulez l’avis d’Arthur Mandel, qui s’en servira encore, bon nombre d’années plus tard, pour expliquer à ses petits-enfants les fruits de l’ignorance, de l’impolitesse, des frustrations accumulées et du cocufiage. Il les conduit où ils veulent, par métier, habitude et richesse.

1 commentaire:

  1. J'aime beaucoup! Et c'est drôle en effet! J'aime beaucoup comment c'est raconté. Il est réussi, cet exercissage écrituresque.

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